IL ETAIT UNE FOIS … #14
TYRANNOSAURES… MAIS PAS FOSSILES !
Je les rencontre souvent dans les tribunes de Kany. Cheveux blanchis, dos un peu voûté,
petit ventre rond, les genoux qui sifflent un peu, mais ils sont encore là. Eux qui ont fait
partie des pionniers du handball à Libourne dans les années 60 viennent encore encourager
leurs successeurs.
Eux, c’est Jean-Claude De Nardi, 77 ans, l’ambidextre, le premier libournais ayant évolué en
D1 après avoir quitté l’ASPTT Libourne -le club de l’époque- pour rejoindre les Girondins
de Bordeaux.
André Baudry, 78 ans, qui nous rappelait souvent sa stratégie concernant le tir de l’aile : « il
y a toujours une place entre la barre et la tête du gardien ». Stratégie grâce à laquelle il ne
s’est pas fait que des amis…
Jean-Paul David, 73 ans, avec son extraordinaire vision du jeu et son humour pétillant
animant les après matchs.
Bref, pour les jeunes générations, des tyrannosaures quoi !
Espèce en voie de disparition ? Cela n’a pas l’air d’être le cas. En tout cas, ce ne semble pas
être leur souhait.
Tyrannosaures peut être… mais pas fossiles !

Vous qui avez fait partie des pionniers du handball à Libourne, racontez nous
quelques uns de vos souvenirs de cette époque.
André Baudry.
Ce handball, maintenant si médiatisé grâce aux performances de générations surdouées, était
des plus anonymes quand j’eus la chance de pouvoir le découvrir à mon adolescence.
« A quoi joues-tu ?» me demandait-on dans ma campagne profonde. Dire au « football à la
main » était l’échappatoire la plus facile et la mieux comprise dans ce monde où seul le foot
existait.
J’étais trop fier de jouer à l’ASPTT Libourne avec d’autres dinosaures que j’ai eu la grande
chance de côtoyer à mes débuts : les Elino, Jacques, Jean (trop tôt disparu) … Georges …
C’était mon bol d’oxygène dominical.
Moi, chien fou malingre et hargneux, eux, toujours dans le calme et la pondération, c’était
ma thérapie !
Jean-Paul David.
Fin des années 60. Avant un match, classique, nous échauffons notre gardien de but avec
une série de tirs qui nous servent également à trouver la cadre. A régler la mire en quelque
sorte.
A un moment, je tente un lob un peu osé. Et je le réussis. Apparemment cela ne plaît pas à
notre gardien. Vexé, croyant sans doute que je cherche à l’humilier, il se précipite vers moi,
menaçant. Devant son attitude, je bats prudemment en retraite car il est capable de me
mettre son poing sur la figure !
Heureusement les « chabalas » et autres « roucoulettes » n’existaient pas à l’époque …
Jean-Claude De Nardi.
Pratiquant l’athlétisme -saut en hauteur et javelot- je débutais le hand à 17ans. A
cette époque nous jouions par tous les temps sur des terrains goudronnés. Un seul regard de
mon frère Elino sur un croisé et je savais que la balle était pour moi à 6 mètres. Plus tard,
j’ai retrouvé cette complicité avec Jean Paul David.
Elino et moi nous étions très motivés et trouvions beaucoup de complicité dans l’exercice de
ce sport. Le jardin et la porte du garage étaient notre terrain d’entraînement journalier.
Sur les terrains goudronnés, les plongeons se terminaient souvent par des mains et genoux
râpés. J’y réfléchissais afin ne pas me blesser.
Je pouvais jouer un samedi soir en déplacement et embaucher le dimanche à 4 heures du
matin. Prendre mon poste à l’heure, sans blessure, et faire un bon match me stressaient.
Quand vous avez débuté au handball, il y a 60 ans, aviez vous imaginé -rêvé- que votre
sport deviendrait si populaire et que le club de Libourne tourne, bon an mal an, autour
de 400 licenciés ?
A. Quand j’ai débuté au handball j’étais élève au lycée. Il y avait deux sortes de hand : celui
se jouant sur un terrain de foot et celui se pratiquant sur un terrain en dur. Nous, nous avions
la chance (!) de pouvoir jouer sur une surface goudronnée et c’était la préhistoire de ce sport
quand je vois celui pratiqué maintenant.
A l’ASPTT, notre club à l’époque, on arrivait tout juste à faire une équipe de garçons et une
de filles pour jouer. Jamais je n’aurais pensé que le club de Libourne puisse devenir ce qu’il
est devenu aujourd’hui, évoluer en N1, jouer des matchs merveilleux, remplir à ras bord les
tribunes, avoisiner les 400 licenciés, être reconnu comme centre de formation régional ou
presque…
J.P. J’ai découvert le handball au lycée Max Linder, sur le terrain goudronné sur lequel je
me rappelle avoir pris un gadin dont je garde toujours la cicatrice. Je m’entraînais chez moi,
tout seul et je plongeais dans mon jardin.
Puis, un jour, j’ai vu un article sur le journal expliquant que l’ASPTT recherchait des
volontaires pour découvrir le handball. Je m’y suis rendu avec quelques copains et jamais je
n’aurais imaginé alors qu’il y aurait, plus tard, un si grand club à Libourne.
J.C. J’ai découvert le handball il y a 60 ans et je suis ravi de voir le niveau auquel il est
arrivé. Qu’il pleuve qu’il vente ou qu’il neige nous jouions la plupart du temps sur le terrain
goudronné du stade Clémenceau (là où a été construit le gymnase Brethous).
Inutile de dire que nous avons accueilli la construction de Kany avec enthousiasme.
Comment voyez-vous le handball actuel par rapport à celui que vous avez connu ? Et
les joueurs ?
A. Le handball que je vois en ce moment n’est plus le même que celui que j’ai pratiqué. Les
joueurs s’entraînent 4 fois par semaine, ce sont des athlètes suivis physiquement, menant
une vie de moine (sourire d’Elino…) ce que nous ne faisions pas. C’est un monde tout à fait à
part et qui n’a rien à voir avec ce que nous avons connu. Maintenant nous ne pourrions
même pas courir 3 minutes avec eux !
Nous, à l’époque, on s’entraînait 2 fois/semaine et on avait notre vie qui nous prenait. Tous
les copains travaillaient à l’usine ou ils avaient autre chose à faire que du HB dans la
journée.
Le soir c’était vraiment se retrouver entre copains et passer un bon moment. Après, le
résultat…Moi j’ai le souvenir de ne m’être jamais engueulé avec mes partenaires. On était
bons, on était mauvais , on faisait ce qu’on pouvait et tout le monde acceptait l’autre. On
était des pionniers.
Pour moi, ces moments là ont été les meilleurs de ma vie. C’était presque une
psychothérapie parce que, comme j’étais un peu violent, je me défoulais sur le terrain le
samedi. Bon, j’en prenais autant mais je passais un bon moment.
Tu te battais à coup d’os je crois ?
( Rires). Oui je faisais à peine 60 Kilos !
J.P. Je me rappelle que, quand j’avais 15/16 ans, j’allais vous voir jouer, au stade
Clémenceau à l’époque, le dimanche matin, sur le goudron. Ça caillait. Vous étiez en N2
qui, en fait était la seconde division française. Avec des matchs à Nantes, Toulouse,
Montpellier, Nîmes …
En ce temps là, quand on mesurait 1,80 mètre ou 1, 85 m on faisait partie des grands. Il y
avait des gabarits et des joueurs comme Elino De Nardi, Jacques Lavie, Jean Zanchetta -et
j’en oublie- étaient des athlètes. A l’heure actuelle c’est 1m90, 1m95 voire plus. Cela a
complètement changé .
Maintenant je me rends compte que notre sport a subi une évolution exceptionnelle et pas
seulement sur le plan physique. J’avoue qu’avec ces engagements rapides, cette façon de
changer avec ces gardiens de but qui sortent…je ne reconnais pas le handball que j’ai
pratiqué à mes débuts.
Malgré tout j’aime toujours bien. Et je suis là comme supporter.
J.C. Je constate que le HB actuel a bien évolué par rapport à notre époque, je pense que
nous ne pourrions plus tenir 10 minutes. Nous, avec nos 1,80 m on était grands, maintenant
ils sont à 1,95/2m et les petits gabarits comme nous ,même avec notre 1,80 m, nous aurions
du mal à tenir face à ces mastodontes.
Votre avis sur l’équipe du GLHB de cette saison ?
A. Je n’ai pas assisté à tous les matchs à domicile mais j’ai souvent été déçu parce qu’ils
avaient la possibilité de gagner des rencontres hélas perdues.
Je n’ai pas toujours compris le management et les règles de jeu qui s’imposaient.
Il serait dommage que, plombée par tous les matchs perdus d’un but et tous les matchs nuls,
cette équipe descende (1) parce qu’elle a beaucoup de possibilités. Mais bon, les joueurs
sont sympathiques, ils ont leur destin en main et ils me conviennent fort bien à Libourne.
J.P. Pas grand chose à rajouter à ce que dit André. Moi aussi je n’ai pas vu tous les matchs
mais c’est vrai que les joueurs semblent assez irréguliers. Ils ratent beaucoup d’occasions par
moment. Heureusement qu’ils ont un grand gardien.
Sur ce qu’on voit, il manque quand même quelque chose. Des tireurs de loin sans doute.
Mais, encore une fois, c’est une très bonne équipe. J’espère pour les joueurs qu’ils vont se
maintenir (1) et, pourquoi pas, aller un jour plus haut. Nous sommes de tout cœur avec eux.
Ce qu’il y a de bien c’est qu’ils ont la chance d’évoluer dans un club bien structuré, costaud.
J.C. Je suis un peu déçu par rapport à certains résultats, par certains matchs perdus par
maladresse. Je ne comprends pas qu’avec 3 ou 4 entraînements par semaine on perde autant
de ballons.
Ce qui me chagrine aussi c’est que cela se joue à 4, les 3 AR et le pivot. Les ailiers ne jouent
pratiquement pas. A notre époque ils participaient au jeu et facilitaient beaucoup de
combinaisons.
Maintenant, il faut reconnaître qu’ils jouent à un niveau très intéressant et je leur souhaite de
se maintenir (1) et d’encore progresser
(1) : Propos recueillis juste avant le match contre Saint-Cyr qui a scellé le maintien en
N1.

Les mêmes dans les années 60. Ont-ils vraiment changé